Une analyse de l’héritage de la Commission de la vérité en Colombie, basée sur les droits de l’enfant

Kelly O'Connor

Amérique Latine

Colombie

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Ce billet a été rédigé par Kelly O’Connor, conseillère volontaire en droits de l’enfant auprès de La COALICO (Coalition contre l’implication des enfants et des jeunes dans le conflit armé en Colombie) depuis 2022.

 

"Il y a un avenir s'il y a la vérité" est le slogan de la Commission de la vérité Colombienne. Photo prise au Centre de la mémoire historique lors de l'événement organisé par la COALICO pour célébrer la Journée mondiale de l'enfance. Bogota, le 28 novembre 2022 

*Ce billet de blogue a été traduit depuis l’anglais, et peut comporter des erreurs liées à la traduction, vous pouvez voir la version originale ici

En tant qu'avocate internationale des droits humains, je trouve le travail de la COALICO extrêmement intéressant. C'est une période très particulière pour travailler sur les questions liées au conflit armé en Colombie. En 2016, le gouvernement colombien a signé un accord de paix avec les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejército del Pueblo (Forces armées révolutionnaires de Colombie - armée du peuple, FARC-EP). L'accord de paix a été historique, mettant fin à plus de cinq décennies de conflit armé et valant au président colombien Juan Manuel Santos le prix Nobel de la paix.

L'une des nombreuses dispositions de l'accord de paix était la création d'une Commission de la vérité (officiellement,  Commission pour la clarification (ou le rétablissement) de la vérité, de la coexistence et de la non-répétition). La Commission a commencé ses travaux en 2018 et a remis son rapport final en juin 2022. La publication du rapport final a été suivie de deux mois pendant lesquels la commission a organisé des événements pour faire connaître ses conclusions. Le plus pertinent pour mon travail avec l'IBCR et la COALICO est le chapitre sur l'impact du conflit armé sur les enfants et les adolescentes et les adolescents en Colombie : « No es un mal menor : Niñas, niños y adolescentes en el conflicto armado » (ce n’est pas un moindre mal : les enfants et les adolescent[e]s dans les conflits armés). À noter que ce titre est un jeu de mots difficile à traduire. « mal menor » signifie « moindre mal » mais le mot « menor » signifie également mineur, c'est-à-dire sous l'âge de la majorité.

Le 5 août, j'ai assisté à un événement organisé par la Commission de la vérité pour faire connaître ce fameux chapitre sur les enfants et les conflits armés. J'ai assisté à l'événement virtuellement, et ai pu entendre l'équipe responsable du rapport remercier la COALICO pour son soutien dans leurs recherches. Hilda Molano, coordinatrice du secrétariat technique de COALICO, a fait quelques remarques, soulignant l'excellent travail de la Commission qui a mis l'accent sur la participation des enfants. Elle a fait remarquer que, bien souvent, les voix des enfants ne sont prises en comptes qu’en second plan voire pas du tout. Elle a également souligné que le chapitre reconnaissait les violations des droits des enfants dans le conflit, au-delà de leur recrutement et de leur utilisation par les groupes armés. 

Hilda Molano, Coordinatrice du secrétariat technique de la COALICO, lors de l'événement de la Commission de la vérité présentant le chapitre sur les enfants et les conflits armés aux organisations de la société civile. Bogota, 5 août 2022.  

Les chercheurs[euses] qui ont travaillé sur le chapitre ont ensuite donné un aperçu de son contenu. La Commission a reçu les déclarations de 2 744 témoins, qui ont décrit des violations commises à l’encontre de 4 014 victimes qui avaient moins de 18 ans à ce moment-là.   

LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’ENFANT DANS LES CONFLITS ARMÉS  

 Le rapport de la Commission de la Vérité est important, car il identifie de nombreuses violations des droits de l’enfant dans les conflits armés, au-delà de leur recrutement et de leur utilisation. Le rapport identifie ainsi 4 catégories de violations :  

      1.L'absence de parents ou de personnes ayant la charge des enfants.    

Les enfants dont les parents ont été tués ou ont disparu pendant le conflit armé voient leurs droits non respectés, avec des conséquences importantes. Ces enfants perdent tout lien avec leur famille. Au sein des communautés autochtones et d’ascendance africaine en particulier, les enfants peuvent perdre la capacité de connaître leur propre culture et leurs traditions. De nombreux enfants dont les parents ont été tués ou ont disparu ont également été déplacés par la suite. Enfin, la Commission de la Vérité a constaté que les enfants, en particulier les filles, qui ont perdu leurs parents pendant le conflit, risquent davantage de subir d'autres violations de leurs droits, notamment des violences sexuelles.    

       2. Déplacement forcé  

Plus de 3 millions d'enfants ont été enregistrés comme déplacés en Colombie. La Commission de la vérité décrit le déplacement des enfants comme faisant partie d'une chaîne de violence, y compris la violence qu'ils ont subie avant et après leur déplacement. Alors que le déplacement forcé représente l’une des violations des droits de la personne les plus reconnus dans le conflit colombien, la réponse du gouvernement reste insuffisante pour protéger les enfants, qui sont plus à risque de voir leurs droits bafoués du fait du déplacement.    

       3. Conflit armé dans et autour des écoles et des établissements d'enseignement 

Les écoles jouent un rôle important dans la vie des enfants, au-delà même de leur droit à l'éducation. Dans certaines régions de Colombie, les écoles sont la seule institution publique. La Commission de la vérité a fait un constat historique sur les écoles dans le conflit armé colombien : tant les groupes armés que les forces armées colombiennes ont traité les écoles comme un objectif stratégique, ne respectant ainsi pas le principe de distinction du droit international humanitaire. Malheureusement, si le conflit entre l'État colombien et les FARC-EP a pris fin, il existe toujours en Colombie un conflit impliquant d'autres acteurs, dont les écoles restent au centre.  

        4. Implication des enfants dans les groupes armés (recrutement et utilisation) 

Il existe deux catégories principales d'implication des enfants dans les groupes armés : le recrutement et l'utilisation. Dans le cas du recrutement, les enfants deviennent membres des groupes armés. Ces enfants doivent être considérés comme des victimes, car les groupes armés les recrutent de force, par la force physique, la tromperie, la persuasion ou encore la séduction. La Commission de la vérité a établi que les FARC-EP étaient le groupe armé qui recrutait le plus d'enfants. Les enfants sont utilisés par les groupes armés pour mener des activités telles que la livraison d'armes, de nourriture ou de drogues, la collecte de renseignements ou l'extorsion. L'armée révolutionnaire colombienne est particulièrement connue pour utiliser des enfants pour recueillir des renseignements. Les enfants qui s'engagent dans des groupes armés peuvent subir d'autres violations de leurs droits, telles que la violence reproductive, la violence sexuelle, les punitions physiques, le travail forcé, les blessures ou la mort lors d'opérations militaires. 

L’héritage de la Commission de la Vérité 

Maintenant que la Commission de la vérité a publié ses conclusions, le gouvernement colombien et ses citoyen[ne]s doivent en tirer des leçons afin de permettre aux victimes de tourner la page (ou surmonter leurs souffrance) et d'éviter que de tels préjudices ne se reproduisent. La société civile colombienne, dont les organisations partenaires de l'IBCR, s'efforce de faire en sorte que cela se concrétise.

La Commission de la vérité dispose d'un site Internet interactif où les personnes éducatrices et le grand public peuvent consulter le chapitre sur les enfants et les adolescent[e]s de manière interactive ici.

En octobre 2022, j'ai assisté à une conférence à l'Université nationale de Colombie, où des personnes éducatrices ont formulé des recommandations politiques à destination du gouvernement quant à l'éducation en période de transition. Plusieurs exposés ont par exemple été présentés sur la manière d'intégrer les conclusions de la Commission de la vérité dans les programmes scolaires d'une manière adaptée à l'âge des élèves.

“Défis et opportunités dans un pays en transition": la conférence à laquelle j'ai participé à l'Université nationale de Colombie. Bogotá, 5-8 octobre 2022. 

Le 28 novembre 2022, la COALICO a organisé un événement pour célébrer la Journée mondiale de l'enfance afin de discuter de l'héritage de la Commission Vérité. L'événement a été diffusé en direct sur la page YouTubede la COALICO.

"Et maintenant, que faire de l'héritage de la Commission de la vérité ?" : Un événement COALICO en l'honneur de la Journée mondiale de l'enfance. Bogotá, 28 novembre 2022.  

Bien que l’Accord de paix ait été signé et soit en cours d'application, cela ne signifie pas la fin du conflit armé en Colombie. Plusieurs groupes armés continuent d'opérer dans le pays, et diverses régions continuent de ressentir les effets du conflit. Au cours de mon mandat, j'ai eu la chance de soutenir l'Observatoire des enfants et des conflits armés de la COALICO dans son suivi du non-respect des droits des enfants liées au conflit armé. Une meilleure connaissance des conclusions du rapport de la Commission de la vérité peut contribuer à encourager le développement de meilleures politiques publiques qui protègent les droits des enfants dans les conflits armés. Il est important de faire connaître les conclusions de la Commission de la vérité afin que les victimes puissent se reconstruire et qu’un tel non-respect des droits humains ne se reproduisent pas à l'avenir. La société civile colombienne est totalement en mesure de mener à bien cette situation, et je suis heureux que l’IBCR fasse partie de la communauté internationale qui soutient leurs efforts.

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