La liberté de tous : la lutte essentielle de CHS Alternativo

L’auteure, Élise Nadeau, est actuellement déployée au Pérou en tant que Conseillère juridique, dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF)», mis en œuvre par le Bureau international des droits des enfants et Avocats sans frontières Canada (ASFC), grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada. Son mandat consiste à appuyer l’organisation CHS Alternativo, une ONG péruvienne spécialisée dans la lutte contre la traite de personnes.

À l’été 2017, quelques semaines avant mon départ pour le Pérou, j’assistais à une formation pré-départ dispensée par l’IBCR. « Une des manières de s’adapter à un nouvel environnement et d’atténuer le choc culturel est de faire des activités qui nous plaisent ». Tel était un des conseils prodigués.

Soucieuse de suivre cette recommandation dès mon arrivée à Lima et ayant grand besoin de me dégourdir les jambes après de nombreuses heures passées assise dans deux avions, je me suis rendue à un cours de yoga. Mon tout premier en espagnol. Au terme de la séance, la professeure a solennellement prononcé les paroles suivantes, inspirées d’un mantra en sanskrit: « Que tous les êtres soient, partout, heureux et libres, et que les pensées, les paroles et les actions de ma propre vie contribuent d’une manière ou d’une autre au bonheur et à la liberté de tous ».

J’avais déjà entendu ces mots auparavant. Toutefois, ce jour-là, moins de 24 heures après mon arrivée à Lima, ils ont pris une couleur et un sens très différents. Ils ont provoqué en moi un sentiment de responsabilité, mêlé à de la fierté et de la gratitude. En entendant ces mots, je n’ai pu que penser à la raison pour laquelle je suis ici, au Pérou. Je suis ici à titre de Conseillère juridique volontaire, déployée dans l’organisation CHS Alternativo, une ONG péruvienne spécialisée dans la lutte contre la traite de personnes. Difficile de penser à un affront plus violent à la « liberté de tous » que la traite de personnes. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que ce crime est considéré comme une forme d’esclavage moderne.

Souvent confondue avec le trafic illicite de migrants, la traite de personnes implique l’exploitation d’un être humain dans le but d’en obtenir un bénéfice. Dépouillée de sa dignité, la personne est alors réduite à un objet commercial. D’abord capturée par divers moyens illicites, tels que la force, la fraude ou encore la tromperie, elle est ensuite transportée au lieu où elle sera exploitée : soit à l’intérieur du pays (traite interne) ou à l’extérieur (traite externe). Ce déracinement de la victime de sa communauté d’origine provoque un isolement facilitant le contrôle et l’emprise que les trafiquants souhaitent avoir sur elle. L’exploitation prend alors différentes formes : vente d’enfants, mendicité, exploitation sexuelle, travail forcé, trafic d’organes, etc.

Au Pérou, comme dans le reste du monde, les principales victimes de la traite de personnes sont des femmes et des filles. Le plus souvent, elles sont leurrées par de fausses offres de travail afin d’être exploitées à des fins sexuelles. Par exemple, il n’est pas rare de voir des cas de jeunes filles, à qui l’ont avait pourtant promis un emploi de serveuse ou de vendeuse, se retrouver contraintes d’offrir des services sexuels dans un « prostibar », comme on les appelle ici. Une fois la duperie constatée, pourquoi ne pas s’enfuir? Simplement parce que les victimes ne sont pas libres. Souvent enfermées, elles sont maltraitées, menacées, dépourvues de leurs documents officiels et sévèrement punies si elles tentent de s’échapper. Les trafiquants développent également un système de dettes, où, cruellement et injustement, ils exigent de la victime qu’elle rembourse diverses dépenses contractées pour sa propre exploitation (transport, alimentation, contraceptifs, loyer pour la chambre, etc.). Pour tenter de rembourser cette dette, la victime n’a d’autre choix que d’offrir son corps, remettant ensuite aux trafiquants les bénéfices obtenus des abus qu’elle a subis. Ce sont les trafiquants qui stratégiquement fixent le montant de la supposée dette, qui, nettement exagéré et s’avérant impossible à rembourser, leur permet de perpétuer la mainmise qu’ils ont sur les personnes qu’ils exploitent. Considérant toutes ces circonstances bafouant violemment la liberté des victimes de traite, il n’est pas étonnant que leur fuite s’avère difficile, voire impossible.

C’est devant l’ampleur, au Pérou, de cette activité illicite et dévastatrice qu’est la traite de personnes que CHS Alternativo a vu le jour, en 2001. Ayant un bureau à Lima ainsi qu’à Iquitos, dans l’Amazonie péruvienne, cette ONG de défense des droits humains œuvre à plusieurs niveaux : sensibilisation, prévention, protection, plaidoyer, etc. Elle assure également un soutien direct aux victimes et leur famille, à travers un Centre d’assistance légal et psychologique (CALP). Quant à moi, je soutiens cette ONG dans sa mission, par exemple, en rédigeant des propositions de réformes législatives, en animant des ateliers dans des écoles, en analysant de manière comparée des cadres juridiques ou encore en appuyant le CALP dans son assistance aux victimes.

Plus de 3 mois après mon arrivée, je repense à ma première journée à Lima. Assise sur mon tapis de yoga, je sentais ce mantra, certes utopique, résonner en moi et provoquer un léger sourire sur mes lèvres. Saisissant aujourd’hui davantage l’ampleur de l’atteinte aux droits fondamentaux causée par la traite de personnes, je suis plus que jamais animée par cet espoir et cette volonté de contribuer, à travers mon mandat et bien qu’à petite échelle, à cette lutte essentielle pour la liberté de tous.