Le directeur général de l’IBCR au Sénat : intervenir pour les enfants sans identité

Le 25 avril 2019 s’est tenue une journée de travail de la Commission des affaires parlementaires de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF). Le directeur général du Bureau International des droits des enfants, Guillaume Landry, a été invité à intervenir et répondre aux questions provenant des membres de la Commission sur le sujet d’étude des enfants sans identité.

Présentement, la Commission travaille à élaborer un projet de loi cadre qui pourrait servir de guide pour certains pays membres de l’APF afin de mettre en place un registre d’enregistrement des naissances obligatoire et gratuit.  

Dans ce contexte, le directeur général de l’IBCR a parlé de différents enjeux concernant cette question. Il a notamment rapelé que les enfants ont tous une identité et que c’est la reconnaissance civile de celle-ci qui n’est pas toujours régularisée. Selon lui, l’existence officielle d’un enfant dans l’administration d’un pays et de facto, sa capacité juridique et son accès à ses droits et aux services constitue l’enjeu à nommer. L’accent a ainsi été mis sur la nécessité de rendre l’ensemble de la démarche d’enregistrement gratuite, car certains coûts afférents sont parfois oubliés.

Selon Guillaume Landry, il est important qu’un enregistrement soit accompagné d’une certaine flexibilité, et ce qu’il s’agisse d’enregistrer un nourrisson à la frontière, un adolescent identifié dans la rue, une jeune fille en conflit avec la loi, un migrant qui est intercepté par une force de sécurité, un enfant non scolarisé, une victime de la traite humaine, une fille démobilisée d’une force ou d’un groupe armé ou encore un enfant orphelin ayant le VIH sida… Pour Monsieur Landry, tout cela est possible. Il estime que des modalités simples devraient être admises pour permettre à tout moment, à divers professionnels, de procéder à cet enregistrement. Cela n’est donc pas qu’une question de naissance. Il ajoute qu’il ne faut pas limiter l’enregistrement sur la présomption que l’enfant est né dans le pays. Il importe d’enregistrer tous les enfants, peu importe la géographie ou les circonstances de sa naissance.

Pour le directeur général, en réservant ou démultipliant les actrices et acteurs capables de procéder à l’enregistrement, on vient influencer le taux effectif d’enregistrement, particulièrement dans les régions rurales, éloignées ou marginalisées de certaines zones périurbaines.

Selon lui, on constate dans plusieurs États une démarche en plusieurs étapes, où le fardeau de la collecte de pièces justificatives et le suivi de la démarche repose sur les parents et les familles. Il estime qu’il importe de simplifier le processus en une seule étape ne nécessitant pas d’autres démarches que celle de formaliser la naissance et l’existence de l’enfant devant une autorité.

Au niveau de la sensibilisation, Guillaume Landry constate que la loi cadre évoque un enjeu où la population ne cerne pas les avantages de l’enregistrement. Il importe donc selon lui de centrer le discours non pas sur l’importance pour les enfants d’entrer dans le système, mais sur le droit des personnes à être enregistrées, à obtenir une reconnaissance, un accès, un statut, une protection. L’État a l’obligation de leur accorder ce droit et donc de faciliter, favoriser et donner accès à cet enregistrement. Cela change le discours et permet de mieux cerner également les aboutissants de cette démarche dans une perspective de droits. Il s’agit donc de parler de droit à faire reconnaître son nom et son identité et de l’obligation de l’État à enregistrer ses naissances et sa population.

Le directeur général ajoute également que les technologies ont un excellent potentiel. Selon lui, on constate un élargissement spectaculaire de l’accès et de l’usage de ces appareils et modalités à travers le monde, particulièrement dans les pays en voie de développement. Toutefois, les derniers pourcentages qui restent à combler dans l’enregistrement des naissances concernent des populations souvent marginalisées, analphabètes du point de vue des technologies. Il met ainsi en garde sur l’idéalisme d’une approche qui peut sembler attrayante pour avancer mais qui pourrait avoir des résultats modestes si ne sont pas pris en compte les facteurs spécifiques faisant en sorte que certains enfants ne sont pas enregistrés.

Globalement, les progrès qui restent à faire dans plusieurs pays sont les plus difficiles à accomplir. Certes, il y a eu une augmentation du taux d’enregistrement de 10% en une décennie à l’échelle mondiale. Mais le directeur général de l’IBCR souligne toutefois que ce succès se fait aux dépends de l’Afrique subsaharienne, où un peu plus de 4 enfants de moins de 5 ans sur 10 étaient enregistrés vers l’an 2000, un chiffre qui n’a pas changé depuis. Les derniers pourcentages à combler concernent des poches de population souvent plus marginalisées. Un projet de la Banque interaméricaine de développement a permis de constater combien difficile l’enregistrement restait pour les 6 à 12% d’enfants n’étant toujours pas enregistrés. Il importe ainsi selon lui, de nommer que des obstacles politiques significatifs subsistent.

Les « derniers » enfants qui ne sont pas enregistrés sont souvent situés dans des zones plus difficiles d’accès. Ils appartiennent à des groupes qui peuvent être perçus par certaines forces en présence comme des menaces politiques par rapport à d’autres groupes. On peut imaginer que si plus de citoyens sont identifiés dans une certaine zone, cela augmente leur poids politique et peut influencer les résultats électoraux, la distribution des deniers publics ou encore les perceptions de qui est majoritaire ou minoritaire.

Accorder l’enregistrement à des enfants abandonnées, marginalisés, démobilisés des groupes armés, détenus pour des infractions, des migrants et toutes sortes d’autres « catégories » d’enfants est un acte politique qui peut être repris par des mouvements idéologiques ou politiques. Selon Guillaume Landry, il importe donc de noter cet enjeu pour ne pas se leurrer et prêcher pour un principe acquis d’avance sans pour autant s’attarder aux enjeux concrets qui sous-tendent le manque à gagner persistant. Le rôle des parlementaires est donc d’assumer pleinement leurs obligations et poser les gestes robustes qui s’imposent.

A la fin de son intervention, le directeur général est revenu sur l’importance de ne pas exclure d’emblée que le père peut enregistrer l’enfant. Puisque cet acte peut se produire autrement qu’au moment même de la naissance, le père peut tout à fait être celui qui enregistre son enfant. Il faut donc selon lui, faire attention à tenir compte de la diversité des modes familiaux par le monde, notamment les familles monoparentales, reconstituées et recomposées, les familles d’accueil, les tuteurs, les familles homosexuelles, etc.