«C’est un début!» Les premiers mois de notre coopérante Karina en Côte d’Ivoire

L’auteure, Karina Fauteux, est conseillère juridique volontaire déployée en Côte d’Ivoire dans le cadre du projet « Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables » mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada. Son mandat consiste à apporter un appui technique à l’Association des Femmes Juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI) au sein de leur clinique juridique de San Pédro, afin d’améliorer l’accès à la justice pour les populations les plus vulnérables.

Le mois dernier était celui du choc culturel. Je découvrais un nouveau monde et un nouveau mode de vie. Une réalité que je peinais à décrire et dans laquelle j’apprends toujours à vivre. En près de deux mois, j’ai eu le temps de faire quelques progrès. Je ne m’étonne plus, des regards des gens, de la différence de définition donné au concept de « ponctualité » ou encore des visites occasionnelles d’indésirables cafards dans ma cuisine pourtant propre. Même mon corps semble s’adapter. Mes mains ne se couvrent plus de bleus et de blessures dus au tordage et aux frottements occasionnés par ma lessive hebdomadaire. Mes doigts gardent même leur taille normale au lendemain de cette activité.

Pourtant, plus le temps passe, plus je prends conscience des défis et des obstacles de mon nouvel environnement de travail et de mon domaine d’activités. J’apprends à commencer par la base. Plutôt que de commencer par leur demander si je peux leur faire parvenir de la documentation par internet, je commence par demander si les cibles savent lire. La Côte d’Ivoire semble déterminée à aller de l’avant, mais la réalité, c’est que près de 56% de la population de plus de 15 ans sont toujours analphabètes [1]. De plus, encore plusieurs villages n’ont pas d’installations qui leur permettraient d’avoir accès à l’eau courante et l’électricité.

La réalité d’ici nous rattrape sans cesse. Il y a trois semaines, j’ai assisté à la fête des lumières de la ville de Doba. 123 530 âmes y demeurent. Ayant déjà assisté au festival des lanternes, le Yi Peng, en Thaïlande, je m’attendais à quelque chose dans la même veine. Un autre festival symbolique où on exprimerait nos souhaits pour le futur. Après 2 heures 30 de montagnes russes naturelles en brousse, je fais face à une fête qui exprime effectivement des souhaits pour l’avenir, mais surtout une reconnaissance pour la chance qui leur a été donnée. Samedi, 17 septembre 2017, nous fêtions l’arrivée de l’électricité au village. Il y a un peu plus d’un an, cette ville se trouvait toujours plongée dans la noirceur. En cette journée de commémorations, on ne célèbre pas tellement la lumière comme un symbole, mais plutôt comme le signe tangible du développement.

Dans de telles conditions de vie, plusieurs personnes remettent en question l’importance des droits humains, et particulièrement les droits des enfants. Ce que la population n’a pas saisi, c’est que ces droits sont aussi un outil de revendication pour assurer une vie, une sécurité et une éducation de qualité pour leurs enfants et pour eux-mêmes. Certains soutiennent que ce sont de beaux principes qui ne trouvent pas application sur le continent africain, d’autres anticipent déjà l’inaction et le désintéressement du peuple. La liste d’obstacles est longue.

Néanmoins, j’arrive à percevoir de l’intérêt. La caissière du supermarché veut en savoir plus, certaines associations qui œuvrent auprès des enfants cherchent à entrer en contact avec moi et d’anciens participants à des formations de la clinique juridique viennent chercher davantage d’informations. Lors de sensibilisation de masse, je perçois même l’attention de mes interlocuteurs lorsque j’aborde les notions de droits des enfants, de violences conjugales, de mutilations génitales et de travail des enfants. Les gens participent. Ils s’interrogent, testent les limites, dessinent les pourtours de leurs droits et de leurs obligations. La vraie question c’est : appliqueront-ils, dès ce soir, les notions dont je leur fais part cet après-midi ? Les gens et les coutumes non positives ne changeront pas du jour au lendemain. Quoiqu’il en soit, j’ai leur attention et c’est un pas dans la bonne direction.

[1] Banque mondiale, « Taux d’alphabétisation, total des adultes (% des personnes âgées de 15 ans et plus », URL : <https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.ADT.LITR.ZS?locations=CI>.