Culture de l’espoir à Jabel Sammama

Par Dorra Bannouri, conseillère en gestion organisationnelle en Tunisie auprès d’ADO+ et du Tunisian Forum for Youth Empowerment, au sein du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF). Ce projet, mené en consortium par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et l’IBCR, est réalisé avec l’appui du gouvernement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada. 

Hakim* est un enfant qui habite Jabel Sammama, une montagne tunisienne, située dans l’ouest de la Tunisie dans le gouvernorat de Kasserine. Cette région est une des plus démunies du pays. Le taux de chômage s’élève à 30% et les conditions de vie y sont précaires. Depuis la Révolution de 2011, elle devient un camp où viennent s’installer des terroristes.

À Jabel Sammama, des familles vivent mais surtout des enfants y survivent. Plusieurs sont menacés par la radicalisation et le terrorisme. Des enfants se retrouvent aussi contraints à travailler très jeunes pour aider à subvenir aux besoins de leur famille. Plusieurs deviennent bergers car c’est la « seule» manière  de survivre. Hakim a décidé de suivre le même parcours et d’arrêter lui aussi l’école pour devenir berger.

Ce jour-là à Jabel Sammama, c’était le festival Les nuits des enfants de la montagne, le festival qui a lieu chaque année et est la seule occasion pour ses modestes habitants de se divertir, se réunir et essayer d’oublier les conditions du quotidien.

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De l’autre côté de la carte, à Tunis la capitale, ADO +, une organisation à but non lucratif, travaille fort  à développer les capacités des adolescent.es et des jeunes des milieux culturels et artistiques à défendre leurs causes et à assurer leur participation effective dans la prise de décisions à divers niveaux, dans les domaines qui les intéressent.  L’art est la manière qu’utilise cette association pour redonner confiance aux jeunes adolescent.es qui côtoient ses espaces et assistent à ses ateliers.

Dans leurs locaux, on retrouve un espace de théâtre, des salles de lecture et même une salle de cinéma. Le tout confectionné avec la participation des enfants dans le processus. 

ADO + encadre les jeunes à monter leurs propres pièces de théâtre qu’ils jouent partout à travers la Tunisie. Acteurs, réalisateurs, producteurs de leurs propres chefs-d’œuvre, les jeunes adolescent.es abordent des thèmes comme : la lutte contre le décrochage scolaire, l’inclusion, l’égalité et la participation aux processus démocratiques.

Fiers et pleins d’ambitions, ces jeunes deviennent les porte-paroles de leur cause : la participation de l’enfant dans la prise de décision et l’expression de ses opinions. Ces jeunes-là ont commencé leur tournée théâtrale tunisienne dans un endroit particulier. Cet endroit s’appelle Jabel Sammama.

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Il est tôt le matin, une pluie torrentielle s’abat sur le Jabel Sammama, cette montagne de Kasserine. Aujourd’hui, on y fête le festival Les nuits des enfants de la montagne. Un des rares moments de joie et de gaieté du village. Le festival se déroule sous la surveillance des militaires dans leurs chars d’assauts, venus protéger les habitants et les visiteurs, dans une des régions les plus isolées et dangereuses du territoire tunisien.

Le bus des enfants de l’organisation ADO + arrive sur place. Il n’y a pas de scène en bois comme à la capitale, il n’y a pas de rideaux ni de grandes salles de théâtre avec des belles affiches. Le temps d’un instant, les jeunes hésitent à jouer leur pièce.  Ils finiront par descendre rejoindre le public qui les attend avec impatience.

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Pour célébrer le festival, toutes les tranches d’âges sont présentes. Des petites filles ont mis leurs plus belles robes, les femmes leur plus beau costume traditionnel. Les ânes, sacrés dans la région car seul moyen de transport et de développement économique, sont eux aussi déployés, coiffés et ornés de beaux tissus et de rubans. Sur les charrettes trainées par les ânes, les habitants fêtent, chantent avec le peu de moyens qu’ils ont. Ils attendaient avec impatience le début de la pièce de théâtre.

La pièce de théâtre commence. On écoute, on s’émeut et on réagit à ce qui se dit. On parle de décrochage scolaire, de travail des enfants, et de droit des enfants. La pièce de théâtre est suivie d’une discussion entre les bergers, les enfants et les représentants d’ADO +. Comme une thérapie, l’échange entre les différents acteurs vient panser des plaies ouvertes depuis trop longtemps.

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Ce jour-là, Hakim décidera de retourner à l’école. Ce jour-là, la représentation aura été la plus magique et la plus réussie, autant pour les enfants d’ADO + que pour les habitants de Jabel Sammama.


*Les noms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnages de ce texte