Des autochtones du Québec accusent la Direction de la protection de la jeunesse d’être comme les anciens pensionnats et d’effacer leur culture. Des jeunes racontent avoir été brisés après une enfance passée « dans le système ». Un récent jugement de la Cour du Québec blâme les services de protection de la jeunesse pour avoir « lésé les droits » d’un enfant algonquin en le plaçant dans une famille d’accueil blanche.
« Ça m’a brisé. Ça m’a brisé de toutes sortes de manières. Je ne sais pas comment l’expliquer. Va demander à mon père comment il s’est senti après avoir vécu les pensionnats. On n’est pas capable de le décrire. On pourrait dire que ça déchire l’âme. »
Xavier Moushoom est un Algonquin de Lac-Simon, près de Val-d’Or, en Abitibi.
Il a 30 ans. Il est en couple. Il a un emploi qui le stimule et une maison où il nous accueille. On pourrait dire que la vie lui sourit.
Il n’en a pas toujours été ainsi.
Xavier est un « enfant du système », pour reprendre ses mots. Il y est entré à l’âge de 8 ans pour n’en ressortir qu’à sa majorité. Il a vécu dans « 12 ou 14 » familles d’accueil, presque toutes non autochtones.
« Ma culture a commencé à se dissoudre. J’ai perdu mon algonquin. À un moment donné, je ne le parlais plus. Ça n’a pas pris de temps. Huit mois peut-être. »
Il est entré dans la vie adulte complètement perdu. Déchiré entre deux cultures, la sienne et celle dans laquelle il a grandi.
À 18 ans, il ne savait pas trapper ou poser un collet comme les autres jeunes de son âge. Sa langue s’était érodée. Sa propre communauté lui faisait peur.
« Ç’a été stressant parce que c’est pas mal ghetto, Lac-Simon. On a pire réputation que Montréal-Nord », dit-il en souriant.
Il a sombré dans l’alcool et dans la drogue. À 22 ans, c’est grâce à un vieil Algonquin, un « dompteur de jeunes » qui l’a emmené vivre un an et demi en forêt, qu’il s’est retrouvé.
« Je me cherchais vraiment. Il me semble que j’aurais dû être équipé. Moi, je considère [la DPJ] comme si c’était l’étape suivante du pensionnat. Ça brise. C’est pas censé être comme ça, mais ça brise. »
« DÉRACINÉS »
À Lac-Simon, plus de la moitié de la population a moins de 12 ans. C’est près de 800 enfants. Cela ne compte pas les adolescents.
Selon des chiffres fournis par le centre jeunesse de l’Abitibi, au 1er janvier 2017, 148 enfants de la communauté vivaient en famille d’accueil, dont le quart (35 enfants) chez les Blancs.
C’est trois fois moins qu’il y a 10 ans, souligne le directeur de la protection de la jeunesse, Philippe Gagné, mais c’est encore trop, martèle le conseil de bande.
« Quand les jeunes qui grandissent hors de la communauté reviennent ici, ils ont perdu leur culture. Ils ont perdu leur langue. Ils ne font plus de lien avec leur famille. Ils reviennent brisés et déracinés », dit Lucien Wabanonik, membre du conseil de bande de Lac-Simon.
Dans son bureau, il reçoit chaque semaine des parents découragés ou en colère qui se sentent incompris ou jugés par les intervenants sociaux.
Crédit photo: Olivier Jean, La Presse