« Capharnaüm » : les enfants d’abord

Dévoilé au festival de Cannes le printemps dernier, Capharnaüm concourra pour l’Oscar du meilleur long métrage en langue étrangère, a-t-on appris mardi. Dans cette chronique sociale farouchement humaniste, Nadine Labaki se porte à la défense de ce que l’humanité a de plus précieux, mais ménage le moins : les enfants. Le héros du film est en l’occurrence un gamin qui a décidé de traîner ses parents en cour. De quoi les accuse-t-il ? De l’avoir mis au monde. Retour sur les origines du projet en compagnie de la cinéaste libanaise.

D’emblée, le but de Nadine Labaki était de montrer la face cachée de Beyrouth, théâtre de l’action de son film et métropole dans laquelle elle voyait s’étaler au quotidien, cachés des touristes, des maux accablant selon elle bon nombre de grandes villes.

« En réalité, ce n’est pas tant que je souhaitais parler de Beyrouth que je me suis sentie obligée de le faire. Rester silencieuse était impensable. Comment on a pu en arriver là ? Comment a-t-on pu se retrouver dans une telle situation, où les enfants sont privés de leurs droits les plus fondamentaux ? Des enfants affamés, contraints de travailler, retirés de l’école, emprisonnés… Faire ce film tenait à la fois de la dénonciation et d’un besoin de comprendre ce qui a amené le système en place a faillir à ce point vis-à-vis des enfants. »

Vrais clandestins

« J’ai fait énormément de recherches, et c’est au cours de cette étape charnière que les personnages ont commencé à prendre forme, dont celui de Zain, qui s’est imposé rapidement. »

Un jour, Zain rencontre Rahil (Yordanos Shiferaw), une sans-papier éthiopienne mère d’un poupon. Comme la majorité des acteurs du film, tant Zain al-Rafeea que Yordanos Shiferaw sont des non-professionnels. Et des clandestins. En effet, le premier est un réfugié syrien, quant à la deuxième, elle fut arrêtée puis relâchée en plein tournage. Dire qu’ils émeuvent — et convainquent — dans leurs rôles respectifs relève de l’euphémisme.

Zain al-Rafeea, en particulier, est saisissant de naturel et de présence. Il dégage en outre une autorité étonnante pour son jeune âge, laquelle confère un surcroît de crédibilité bienvenu à la prémisse.

Colère légitime

On est d’ores et déjà attaché à eux deux lorsque, après que Rahil, piégée par un réseau de trafic humain, eût disparue, Zain prend sur lui de veiller sur le bébé. Puis, voici qu’un autre drame survient après que la petite soeur de Zain eût été vendue en mariage, amenant ni plus ni moins ce dernier à poursuivre ses parents en justice, les accusant d’avoir commis un crime en lui faisant voir le jour.

« Beaucoup d’enfants que j’ai rencontrés m’ont confiée des choses bouleversantes : « je préférerais être mort », « j’aimerais ne jamais être venu au monde », « pourquoi suis-je né ? », « serais-je pour toujours abusé et battu ? »… On ne parle pas de caprices ou de mouvements d’humeur, mais d’enfants forcés de vivre dans le dénuement le plus total, voire en prison comme je le disais un peu plus tôt. Ces enfants ressentent beaucoup de colère, à raison. C’est cette colère qui m’a inspirée l’idée de ce gamin, Zain, qui décide de poursuivre son père et sa mère. »

Cela pourra paraître invraisemblable hors contexte, mais tel que livré par Zain al-Rafeea dans le film, le plaidoyer de cet enfant-symbole à l’heure de faire réfléchir.

« En entreprenant cette procédure, Zain se trouve au fond à traîner le monde entier en justice. Un monde qui l’a laissé tomber, lui, et qui a laissé tomber des millions d’enfants. » Un constat aussi terrible qu’impossible à contredire.

Note d’espoir

Malgré un désir assumé de secouer les spectateurs, de les sortir d’une certaine torpeur face à l’horreur banalisée, Nadine Labaki voulait à tout prix éviter de sombrer dans le didactisme. En gardant cela à l’esprit, elle n’a pas essayé de formuler un message à proprement parler.

« J’ai plutôt fait confiance à mon instinct pour me guider. Je n’ai pas analysé mon propos : j’ai d’abord et avant tout agi d’une manière qui me semblait avoir du sens ; qui avait un sens pour moi. »

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